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Pas un acteur ne foule d’un pas désinvolte les dalles dorées du beau Théâtre de l’Epée de bois (Paris 12e). Simon Abkarian moins que quiconque, dont la noire silhouette et les yeux masqués par les rebords tombants d’un chapeau de feutre apparaissent dans une embrasure en fond de salle. Murs de vieilles pierres, lumière vespérale, brume songeuse gagnant le décor d’un bar délaissé où seuls deux musiciens (le bouzoukiste Grigoris Vasilas et le guitariste Kostas Tsekouras) sont attablés. On se croirait dans Café Müller version Pina Bausch, sauf que la danse (car danse et rébétiko il y aura) a lieu dans les coulisses d’une guerre antique.
Pendant cette représentation de Ménélas rebétiko rapsodie, l’homme qui ondoie lentement, chaussures vernies aux pieds, est le Grec Ménélas, que sa femme Hélène a quitté pour le Troyen Paris. « J’étouffe. Pourquoi es-tu partie ? », se lamente Simon Abkarian, au chant élégiaque. Le héros inspire et expire. Un filet d’air pour déjouer l’asphyxie dans laquelle le plonge la violence du chagrin d’amour. Des mots, il lui en faut des torrents pour dompter le flux de sentiments qui le secoue de part en part.
La rage, l’humiliation, la sidération, le besoin, le manque, la jalousie et cet insatiable désir qui survit à l’absence : tout mérite d’être dit, du plus cru (« Putain venue de Sparte ») au plus noble (« ma femme ma sœur mon amie »), en passant par l’autoportrait assassin. Plus Ménélas insulte Hélène, plus il se flagelle : « Moi qui suis le faible, le mou, l’indécis, le doux, l’impuissant, le débonnaire, l’influençable, l’esclave de la chair. »
Portés par une musique sublime, ces mots déferlent entre les tables et les chaises de bois. Abkarian s’en saisit avec l’ardeur d’un nageur qui cherche une bouée de sauvetage. Ce texte qui lui colle à la peau renverse les perspectives. Le contexte historique est balayé par le monde d’aujourd’hui. Le politique quitte le champ de bataille pour s’engouffrer dans l’intime. Ménélas est extirpé des pages de la tragédie pour apparaître seul dans la lumière. Après avoir travaillé les figures d’Electre (Electre des bas-fonds) et d’Hélène (Hélène après la chute), l’auteur zoome cette fois sur la psyché masculine. La guerre fait rage dans l’intériorité d’un homme qui court après ses états d’âme comme s’il traquait des soldats ennemis. Pas d’épée au bout de son bras, juste une parole ample et lyrique à laquelle on pardonne ses excès (il y en a) et ses bascules trop systématiques entre éloges et invectives.
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